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VYGOTSKI ET L'ECOLE
24 avril 2011

AXE 5

AXE  (animé par Bernard Prot et Bernard Schneuwly)

 

Formation générale – formation professionnelle 

 

Références vygotskiennes



C’est d’abord depuis quelques textes de Vygotski qu’on organise l’axe directeur de cet atelier, puis à partir de notre actualité qui, à travers les dispositifs de « formation et d’orientation tout au long de la vie », interroge fortement les distinctions traditionnelles entre les modes d’acquisition et de validation des acquis scolaires et des acquis de l’expérience.



Dans La méthode instrumentale en psychologie, paru en 1930, Vygotski propose l’analogie entre « l’instrument technique » et « l’instruments psychologique », pour souligner leur différence. Dans les deux cas, des « élaborations artificielles » peuvent devenir des « instruments » qui « s’intercalent » entre l’opération psychique et son objet, en transformant  cette opération. Mais alors que le premier est destiné à obtenir des changements dans « l’objet externe », le second tend à « exercer une influence sur  le psychisme propre (ou celui des autres) ou sur le comportement ».



Cette approche, souvent reprises et discutées, présente un point de départ particulièrement intéressant pour engager la réflexion de cet atelier. Pour penser les rapports entre formation générale et formation professionnelle, on ne commencera pas par les séparer à priori mais, au contraire, par les considérer d’abord depuis une même base théorique, une théorie instrumentale commune au développement de l’ensemble des fonctions psychologiques.



L’article de Vygotski se termine d’ailleurs par une conclusion en forme programme, qui définit un l’objet d’étude :



L’étude d’une situation déterminée et d’une structuration particulière de comportement de l’enfant requiert l’étude de ses actes instrumentaux et l’évaluation de la restructuration des fonctions naturelles entrant dans un acte donné. La méthode instrumentale est une méthode d’investigation du comportement et du développement à travers l’études des instruments psychologiques utilisés dans le comportement et celle de la structuration des actes instrumentaux qu’ils suscitent.



Cette théorie instrumentale ajoute une dimension historique à l’analyse. Vygotski cite ici Blonski : « Le comportement peut être compris uniquement comme histoire du comportement ».



Trois ans plus tard, Vygotski est plus précis. Dans Pensée et Langage (1997), il réfute, en reprenant certaines idées de Gross et de Külpe, l’idée que l’abstraction commence avec l’usage des concepts enseignés dans les classes supérieures. Il propose une définition de l’abstraction architecturée sur le développement de différents instruments psychologiques. L’abstraction, bien avant l’acquisition du langage, peut être fondée sur des perceptions qui, déjà organisées en « attente », ouvrent une « brèche dans la perception globale » (253-254) de l’enfant. L’abstraction peut être constituée par l’usage d’instruments techniques qui contribuent à organiser l’activité et la « pensée pratique » (p. 256). Enfin l’abstraction peut être le résultat d’une activité médiatisée par des instruments symboliques.



Dans les trois cas, souligne Vygotski, l’enfant réalise une formation psychique hybride, un « concept potentiel » qui demande à l’enfant «une très grande tension de toute l’activité de sa propre pensée », parce qu’il inaugure une restructuration de l’organisation des ressources déjà accumulées, en même temps qu’il provoque un développement de l’instrument technique ou de la signification de l’instrument symbolique mobilisé. Si l’abstraction est une forme de généralisation, ses effets potentiels sont différents selon les ressources qui l’organisent – perceptives, techniques, symboliques. Généralisation par abstraction et généralisation par complexification des concepts semblent être distinguées comme deux sources de développement de la pensée, dans ce passage qu’on mettra en rapport avec les chapitres de Pensée et langage consacrés au développement des concepts.



Mais aussi, dans Enseignement et développement mental, écrit dans la même période entre 1933 et 1934, Vygotski revient d’une autre manière sur ces questions, et il le fait cette fois à propos de l’apprentissage professionnel. S’il affirme des différences entre « l’apprentissage de l’adulte et celui de l’enfant », il ouvre des perspectives d’approfondissement et relève aussi les limites des recherches réalisées jusqu’alors : 



L’importance de l’enseignement en tant que facteur essentiel pour déterminer la zone proximale du développement peut être plus clairement mise en évidence en confrontant l’apprentissage de l’adulte avec celui de l’enfant. Ce n’est que récemment qu’on a prêté attention à la différence fondamentale qui existe entre ces deux types d’apprentissages. Comme on le sait, les adultes ont aussi à leur disposition de grandes capacités d’apprentissage. L’idée de James selon laquelle après 25 ans il est impossible d’assimiler de nouvelles idées, a été complètement contredite par les recherches expérimentales modernes. Pourtant, aujourd’hui encore, on n’a pas suffisamment mis en évidence ce qui distingue l’apprentissage des adultes de celui des enfants.



En effet, si l’on considère, comme le proposent les théories de Thorndike et de James que nous avons citées, le processus d’apprentissage comme équivalent à celui de la simple formation d’habitudes, il ne peut y avoir de différence fondamentale entre apprentissage de l’enfant et apprentissage de l’adulte, puisque dans les deux cas, ce sont les mêmes mécanismes qui sont à la base de la formation des habitudes. La différence se réduit à la facilité et à la rapidité plus ou moins grande du processus d’acquisition.



Les choses se présentent très différemment quand on cherche à déterminer, par exemple, la différence entre l’une part apprendre à taper à la machine, à aller en bicyclette, à jouer au tennis pour l’adulte et apprendre la langue écrite, l’arithmétique ou les sciences naturelles durant l’âge scolaire. Pour nous, la différence réside dans le rapport différent aux processus de développement.



Apprendre à taper à la machine implique effectivement l’assimilation de certaines habitudes qui en tant que telles ne produisent aucun changement dans la configuration mentale humaine, étant donné qu’elles se servent de cycles de développement déjà accomplis et achevés. Et c’est précisément pour cette raison qu’un tel apprentissage n’a qu’une importance insignifiante pour le développement mental.



Mais pour ce qui concerne l’apprentissage de l’écriture, nous devons tenir un discours différent. Des recherches menées à ce propos et dont nous parlerons ailleurs ont démontré que ce processus ouvre une série de nouveaux cycles de développement d’une grande complexité, qu’il apporte des modifications tellement fondamentales dans le cadre du développement mental général de l’enfant qu’on peut le comparer avec l’effet de l’apprentissage du langage lors du passage de la prime enfance à l’enfance.



(…)



Montrer comment l’acquisition des quatre opérations arithmétiques produit toute une série de processus internes très complexes dans le développement de la pensée de l’enfant constitue la tâche essentielle de la pédologie pour l’analyse du processus pédagogique.



Notre hypothèse suppose l’unité mais non l’identité des processus d’enseignement et des processus internes de développement. Elle présuppose le passage des uns aux autres. Le véritable objet de l’analyse pédologique consiste à montrer comment la signification externe et l’habileté de l’enfant deviennent internes.



L’analyse pédologique n’est pas la psychotechnique de l’école. Le travail scolaire de l’enfant n’est pas un métier. Il n’est pas analogue à l’activité professionnelle des adultes.



Ce qui apparaît ici comme une opposition assez mécanique et simpliste dans ce passage est fondé plus profondément dans un autre passage où Vygotski discute la spécificité de la pédologie :



Le problème n’est pas dans le tout et le développement en général, mais dans un tout pédologique et dans ses conceptions du développement comprenant toutes les facettes du développement de l’enfant dans leur synthèse.



A partir de là il est clair que l’idée d’une “pédologie” de l’adulte souvent avancée chez nous, qui tendait à transposer aux sciences étudiant l’adulte les mêmes corrélations qui s’ébauchent pour l’étude de l’enfant est une idée erronée, car sur la base de cette affirmation se trouve l’idée que l’enfant est un petit adulte et que les processus de développement de l’enfant ne se présentent pas qualitativement de manière spécifiques et par conséquent cette corrélation, ce nouveau nœud, cette nouvelle synthèse, cette nouvelle forme de liens qui caractérisent le mouvement des indices morphologiques, physiologiques et psychologiques à l’âge de l’enfance conservent aussi leur puissance pour l’âge adulte. (Vygotski, Textes pédologiques, sous presse, p. 110 du manuscrit)



L’affirmation est forte : le développement de l’enfant jusqu’à y compris l’adolescents et défini notamment par une redéfinition continuelle des rapports entre indices ou facteurs morphologiques, physiologiques et psychologiques. Ceci se manifeste dans une conception du développement décrit comme suit ; il défend une



représentation du développement de l’enfant comme un processus de devenir de la personne, de l’émergence de la personnalité humaine qui s’accomplit par la voie de l’apparition incessante de nouvelles particularités, de nouvelles qualités, de nouvelles propriétés, de nouvelles formations qui se préparent dans le cours antérieur du développement, sans être déjà prêtes, même en moindres proportions dans les étapes précédentes. (p. 15)



Mais bien sûr :



Je ne pense pas que l’adulte ne se développe pas, mais je crois qu’il se développe en obéissant à d’autres règles, et que pour ce développement, il y a d’autres liens caractéristiques que pour l’enfant et que la particularité qualitative du développement de l’enfant est l’objet direct de la recherche du pédologue. D’après moi, parler d’une pédologie de l’adulte n’est pas seulement faux du point de vue du nom même de pédologie, mais surtout du point de vue de l’étirement dans une seule ligne spécifique, les processus de développement de l’enfant et les processus de transformation de l’adulte. Je le répète : les mêmes lois ne peuvent englober à la fois le changement interne du développement de l’enfant et les changements des âges plus tard. Je n’exclue pas que la science doit étudier et la psychologie en particulier, les changements, disons, qui se produisent à l’âge mûr ou pendant la vieillesse, mais je n’associe pas ces deux problématiques, je ne pense pas que cet objet appartienne à cette catégorie de phénomènes auxquels la pédologie a affaire. (p. 120)

 

Questionnement



Les contributions de cet atelier devront permettre de revenir, d’une manière ou d’une autre, sur ces affirmations et pistes de travail vygotskiennes, sur les limites et contradictions éventuelles, pour apporter  des confirmations, contestations, avancées et déplacements du problème. Deux problématiques enchevêtrées apparaissent :



-          l’une est celle du développement de l’adulte ;



-          l’autre est celle du rapport entre concepts quotidien et concepts enseignés/scientifiques.



Vygotski n’a abordé que le développement de l’enfant et a, pour saisir la spécificité du développement de l’enfant à l’âge scolaire, introduit le concept de concept quotidien et concepts enseignés. Le questionnement général de l’atelier consiste à voir, dans le cadre plus général de l’approche instrumentale proposée par Vygotski, d’esquisser des pistes pour penser la question du développement de l’adulte et ce plus particulièrement, vu la problématique générale du symposium, dans le rapport à la formation institutionnelle des adultes, nécessairement en interaction avec le travail et la formation professionnelle. Cet atelier ouvrira ainsi la discussion sur des questions transversales du séminaire.



-          Institutions « formellement » dédiés à l’apprentissage (au sens large) versus contextes de travail, familiaux et associatifs.



-          Concepts quotidiens versus concepts enseignés



-          Connaissances « générales » versus connaissances « disciplinaires »



Par exemple, à partir de Vygotski, on pourrait dire que les professionnels développent des « concepts quotidiens » au travail. Mais les concepts quotidiens dont parle Vygotski sont d’abord ceux des enfants, liés donc au milieu familial et social. Dans quelle mesure, avec quelles limites les « concepts quotidiens » dont parle Vygotski peuvent-ils nous permettre de penser les « concepts quotidiens » que développent des professionnels dans l’exercice de leur métier. Peut-on vraiment soutenir l’usage d’une même notion, celle de « concepts quotidiens », à propos des milieux professionnels, et si oui, à quelles conditions ? Et si non, quelle terminologie utilisée, et surtout quels outils conceptuels développés ?



Comment établir un rapport entre les conceptions développées au travail et les conceptions des élèves ?



A quelles conditions les référentiels, curricula ou programmes peuvent-ils devenir des instruments de développement de la relation entre celles-ci et celle-là, en dehors de l’illusion adéquationniste tout autant que de leur confusion dans des catégories métaphoriques du stock ?



Plus généralement : comment une perspective instrumentale déplace-t-elle la manière de poser le problème et de produire des résultats ? Et comment penser la question du développement de l’adulte ?

 

Questionnements situés dans l’actualité



On invite les contributeurs à mettre l’accent, dans leurs analyses, sur les enjeux contemporains de cette question. En particulier : Les modifications récentes de nos systèmes de formation et de certification, dans une perspective de « formation tout au  long de la vie ». Ainsi, dans de nombreux pays, un même diplôme peut désormais être obtenu à partir des acquis de la formation et à partir des acquis de l’expérience. Cette disposition rejoint une série d’autres mesures qui participent à valoriser les connaissances développées au travail. On lira, par exemple, un récent rapport de l’OCDE, qui fait le point sur les pratiques de reconnaissance et de validation en Europe. On cite ici quelques phrases de l’introduction :



La reconnaissance des acquis d’apprentissage non formels et informels est à l’ordre du jour politique.



Si on acquiert des savoirs, savoir-faire et compétences dans des contextes formels d’enseignements, on en acquiert aussi, soit intentionnellement, soit de manière informelle, dans la vie de tous les jours. Les décideurs et les pays de l’OCDE sont de plus en plus conscients que les compétences acquises ainsi constituent une riche source de capital humain. Dans bien des cas, elles sont pleinement reconnues, comme l’attestent les augmentations de salaires qui en tiennent compte. Mais tout le monde n’est pas conscient de son propre stock de capital humain et de sa valeur potentielle. Et certaines personnes ne tirent pas pleinement profit de leurs acquis parce qu’elles ne peuvent pas facilement donner le preuve de leurs compétences. La reconnaissance des acquis d’apprentissages non formels et informels ne crée pas, en elle-même, le capital humain, mais elle rend le stock plus visible et augmente sa valeur pour l’ensemble de la société. (O.C.D.E. (2010). Reconnaître l’apprentissage non formel et informel. Résultats, politiques et pratiques[1]

 

Ce langage économique, qui agrège facilement en un même stock des connaissances aussi disparates, interroge nos propres ressources langagières, les catégories qui permettent de distinguer des connaissances différentes et les rapports qu’il est possible d’établir entre elles. Il sera intéressant d’interroger ce langage dans une perspective vygotskienne.



Autres lectures pour travailler Vygotski



Ces questions, si elle demandent un travail sur et à partir des textes de Vygotski (y compris en discutant la présentation qui en est faite ici), rejoignent les séries de travaux contemporains préoccupés de la conception d’enseignements à visée professionnelle, dans le contexte de la formation initiale ou à l’âge adulte. Définir des distinctions entre les milieux scolaires et professionnels et tout autant travailler à établir les conditions qui permettent les liaisons entre ces manières de penser.



A ce titre, et pour offrir un contrepoint aussi bien aux textes de Vygotski qu’aux publications contemporaines, on invite aussi à lire l’ouvrage d’A. Léon, publié dans la période de développement de l’enseignement professionnel initial et continu (1965). Formation générale et apprentissage du métier, Paris : PUF.



On invite également à une lecture de quelques extraits du livre de M. Young (Bringing knowledge back in, 2008 : p. 65-80 le chapitre ‘Structure’ and ‘activity’ in Durkheim’s and Vygotsky’s théories of knowledge, et 181-186 le chapitre Experience as knowledge ? The case of the recognition of prior learning) qui font directement référence à quelques discussions cruciales à propos de l’utilisation des concepts de Vygotski concernant concepts quotidiens et enseignés/scientifiques et, comme exemple intéressant à discuter, à propos de la validation des acquis d’expérience (recognition of prior learning).

 

 

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VYGOTSKI ET L'ECOLE
  • Ce blog réunit les textes qui seront étudiés lors du 5ème Séminaire International Vygotski, Bordeaux 19-21 Octobre 2011, sur le thème "VYGOTSKI ET L'ECOLE". Pour plus de détails, cliquer sur http://iufm.u-bordeaux4.fr/accueil/recherche/colloque/seminair
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